Le jet-skieur arrêté par les garde-côtes algériens raconte…
Le jet-skieur arrêté par les garde-côtes algériens raconte…
Revenu en France le 5 septembre après avoir purgé une peine d’un an de prison en Algérie, Ismail Snabi, Franco-marocain de 28 ans, a raconté son histoire dans un témoignage exclusif accordé au quotidien Le Monde. Ce récit tragique, publié le 28 novembre, illustre la brutalité des autorités algériennes et les tensions géopolitiques exacerbées entre l’Algérie et le Maroc.
(Le 29 août 2023, il est 17h00, le ciel est encore bleu et «la mer plate comme un lac», décrit-on dans le récit fait de cette journée de vacances idéale.) Ismail Snabi, accompagné de trois amis — Bilal Kissi, Mohammed Kissi et Abdelali Mchiouer —, décide de passer une journée dans une station balnéaire marocaine située à proximité de la frontière algérienne. Après un repas au bord de l’eau dans le village de pêcheurs de Cap-de-l’Eau, les jeunes hommes reprennent leurs jet-skis pour retourner à la marina. «On fait des tours, des Snapchat» raconte Ismail. Cependant, alors que la nuit tombe et que la brume s’installe, ils réalisent qu’ils se sont égarés.
Pensant retrouver leur chemin, le groupe navigue lentement en raison d’un manque de carburant. («Je m’arrête et je dis à Mohamed qu’on s’est trompés. On voit juste un truc blanc au loin. Il n’y a pas de panneau en mer») Ils ignorent qu’ils se sont accidentellement aventurés dans les eaux territoriales algériennes, où ils rencontrent un bateau des garde-côtes.
Un navire militaire surgit alors de la brume et fonce sur eux à grande vitesse, zigzaguant entre les jet-skis. Les jeunes hommes, croyant avoir affaire à des sauveteurs, s’approchent en quête d’aide. Ismail leur explique en arabe qu’ils sont perdus et leur indique qu’ils viennent du Maroc. «Je suis content de les voir. Je me dis qu’ils vont nous aider, nous indiquer la route» raconte Ismail. Il dit aux militaires, en arabe : «On s’est trompés, on vient du Maroc». Mais pour seule réponse, les militaires hurlent un «Foutez le camp! Le Maroc, c’est là-bas!». Effrayés, les quatre hommes ont immédiatement fait demi-tour pour retourner vers les côtes marocaines. «Comme on était sur la réserve de carburant, on est repartis à bas régime. On ne pouvait pas s’enfuir, c’est comme si on était en trottinette et eux à moto. Tout a basculé en quelques secondes». Cependant, des coups de feu retentissent.
Pris de panique, Ismail se jette à l’eau. «Je me mets à ‘chahed’ comme si mon heure était arrivée, et là j’entends: “T’es juif, pourquoi tu ‘chahed’?”» Rapidement capturé, il est ligoté, frappé, et emmené à bord du bateau.
Pendant ce temps, ses amis ne connaissent pas le même sort : Bilal Kissi et Abdelali Mchiouer sont abattus sur place, tandis que Mohammed Kissi parvient à regagner les côtes marocaines.
Après son arrestation, Ismail est conduit en Algérie, où il est soumis à des interrogatoires violents. pieds et mains attachés «comme un agneau». «J’ai une botte sur la joue, on me frappe, et on me demande si je suis allé en Israël». Ismail est emmené en Algérie et enfermé. «Je n’avais que mon gilet de sauvetage, mon short de bain bleu, une montre, mon téléphone et une petite sacoche avec de l’argent»
«On me redemande si je suis allé en Israël, si je bois de l’alcool, si je peux réciter telle ou telle sourate du Coran. Je répète que je suis français», raconte Ismail, qui n’a pas de passeport marocain.
Il est frappé, torturé, et sa barbe est brûlée avec un briquet. «Je reçois des coups, on me met la tête dans un seau d’eau. Je suis torturé, quoi». Les militaires algériens vont jusqu’à le photographier près de son jet-ski criblé de balles, comme un trophée.
Dès le lendemain, il comparaît devant un tribunal, toujours seulement vêtu de son short de bain. Accusé d’«entrée illégale» et de «contrebande d’un véhicule», il est condamné à trois mois de prison ferme. Cette peine sera alourdie deux fois, atteignant finalement un an d’incarcération assorti d’une amende de 15 millions de dinars algériens (environ 100.000 euros).
Pendant son année de détention, Ismail est transféré dans quatre prisons différentes. Les conditions de vie y sont abjectes : (il «dort sur des couvertures humides, (…) perd 30 kilos -il en pesait 120-, le sommeil, la raison».) Ses proches sont également confrontés à un odieux chantage : les autorités algériennes refusent de restituer le corps de Abdelali Mchiouer pendant plus de quatre mois, dans le cadre d’un odieux chantage.
Un mois après son incarcération, un policier algérien lui tend un téléphone sur lequel il découvre la photo de son ami Abdelali, décédé. Ce choc psychologique s’ajoute au traumatisme de sa détention. Lors d’une visite de son frère, il apprend également le décès de Bilal Kissi. (Il confie : «Fallait encore gérer ça. J’en ai pleuré jusqu’à épuisement. J’ai perdu deux frères pour rien.»)
La peine d’Ismail devait s’achever le 28 août 2024, mais il a été libéré plus tôt après avoir payé son amende exorbitante. (Il résume : «J’ai payé une rançon, j’étais otage.») Cependant, même lors de sa libération, il est menacé par un policier algérien qui lui conseille de ne pas parler de son histoire en France, sous peine de représailles contre sa famille en Algérie.
La double nationalité d’Ismail Snabi semble être une des raisons principales de son traitement brutal par les autorités algériennes. Son épouse, de nationalité algérienne, n’a pas obtenu de visa pour la France malgré ses papiers français, ce qui souligne une discrimination persistante.
Suivi par un psychiatre depuis son retour, Ismail tente de reconstruire sa vie. Une plainte pour homicides volontaires a été déposée par la famille Kissi en France, et Ismail devrait être prochainement entendu par les autorités françaises dans ce cadre. Son témoignage constitue une pièce essentielle pour établir la vérité et dénoncer les abus commis par le régime algérien.
Ce récit tragique illustre non seulement l’injustice et les abus des autorités algériennes, mais également le coût humain des tensions avec le Maroc alimentées par l’Algérie.
L’histoire d’Ismail Snabi illustre les abus d’un régime autoritaire et les dérives d’un système judiciaire politisé. Ce témoignage poignant rappelle la nécessité de protéger les droits des individus, même dans des contextes géopolitiques complexes, et d’assurer que de tels actes ne restent pas impunis.
La famille Kissi, ainsi qu’Ismail Snabi, ont déposé une plainte pour homicides volontaires en France. Les autorités françaises ont ouvert une enquête qui pourrait permettre d’établir les responsabilités dans cette affaire et d’obtenir justice pour les victimes.